Page:Bloy - La femme pauvre.djvu/142

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

a dans les songes, s’étaient éveillés en elle qu’elle ne pouvait plus retrouver le faux équilibre de ses désespoirs antérieurs.

Froidement, elle résolut d’en finir. De quelle manière ? Elle l’ignorait. Mais il le fallait, et très sûre, désormais, qu’elle avait le devoir de considérer comme un don du ciel ce changement si soudain, elle se sentit comblée de vigueur pour défendre son indépendance.

Comme elle achevait de s’habiller, la bonne vint l’avertir que son premier déjeuner l’attendait. Ayant, par ignorance, laissé passer l’heure, elle eut la satisfaction d’être seule à table et de méditer à son aise en savourant ce « juste, subtil et puissant » café des Parisiennes, — trop souvent, hélas ! obscurci par la déloyale chicorée, — qui « bâtit sur le sein des ténèbres, avec les matériaux de leur imagination, des cités plus belles que Babylone ou Hécatompylos ».

Elle jouit de ce breuvage qui lui retendait les fibres. Ses sensations étaient presque celles d’une épousée, en examinant la salle à manger peu princière, mais assez vaste et témoignant d’une certaine pratique de cette ample vie matérielle qu’elle avait toujours ignorée, dont la révélation soudaine produit infailliblement, chez les vrais pauvres, une espèce de trouble nerveux assez analogue au spasme déterminé par une brusque étreinte.

Cette secousse banale, mais si faiblement observée par les analystes les plus forts, la traversa comme l’éclair, et ce fut fini. Elle était trop lucide pour ne pas sentir bientôt