Page:Bloy - La femme pauvre.djvu/154

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imitant avec succès les petits pas ataxiques des cabotins de mélodrame.

L’effroi du peintre fut extrême à la pensée que cette houri de cauchemar allait se vautrer sur le meuble confident de ses méditations les plus sublimes. Il se précipita et, la saisissant par l’os du coude qui coupait autant qu’un silex, la retourna vers la porte.

— Ah ! ça, dites donc, chère Madame, est-ce que vous vous croyez à la Morgue, par hasard ? J’ai eu l’honneur de vous exprimer, le plus respectueusement que j’ai pu, mon sensible chagrin de ne pouvoir vous écouter avec tout le recueillement imaginable. J’ai moins encore le temps de contempler vos grimaces de désespoir, bien qu’elles soient exécutées assez proprement, je le reconnais. Si donc vous n’avez rien à me notifier de plus palpitant je vous conjure de vouloir bien disparaître.

La vieille, comprenant qu’elle allait être jetée dans la rue et qu’avec un tel homme il ne fallait pas compter exclusivement sur des effets pathétiques, prit le parti de se déclarer.

— Monsieur, gémit-elle, rendez-moi ma fille ! C’est la seule consolation de mes vieux jours. Vous n’avez pas le droit de séparer une mère de son enfant. Elle doit être cachée dans votre maison, puisqu’elle n’a pas d’argent pour vivre à l’hôtel… Mon Dieu, je n’y verrais pas encore trop de mal si ce cher trésor avait trouvé une bonne amitié. Je vois bien que vous êtes un brave et honnête monsieur qui savez vivre, et vous ne voudriez faire de tort