Page:Bloy - La femme pauvre.djvu/158

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à cette compagne charmante l’illusion d’être indispensable.

Il eut l’originalité de l’utiliser en qualité de lectrice, pendant qu’il travaillait à son chevalet, sous le prétexte linéamentaire que les vers de Victor Hugo ou la prose de Barbey d’Aurevilly soutenaient son inspiration, comme s’il avait entendu les plus suggestives mélodies de Chopin ou de Beethoven.

Étant, ainsi que la plupart des méridionaux cultivés, un assez bon virtuose de lecture, il en profitait pour lui apprendre cet art difficile, si profondément méprisé par les gazouillards de la Comédie-Française et les liquidateurs de diphtongues du Conservatoire, — lui révélant de la sorte les plus hautes créations littéraires, en même temps qu’il lui donnait le secret d’en exprimer la substance : — Le sublime et la manière de s’en servir ! disait-il.

Un jour qu’il lui avait fait lire entièrement Britannicus, édulcorant, par de fréquentes interruptions, l’effrayant ennui de ce chef-d’œuvre, il la conduisit au Théâtre Français, où l’on jouait précisément la tragédie dont elle bourdonnait encore.

À l’extrême stupéfaction de son écolière, il lui fit remarquer que pas un seul vers du poète, pas un seul mot n’est prononcé, mais que les comédiens fameux, nourris dans les gueuloirs de la tradition, juxtaposent au texte une espèce de contre-point déclamatoire, absolument étranger, qui ne laisse pas transparaître un atome du poème vivant qu’ils ont la prétention d’interpréter.