Page:Bloy - La femme pauvre.djvu/196

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bornant à soupirer, de temps en temps : — Seigneur, ayez pitié de moi, pourquoi froissez-vous encore un roseau déjà brisé ?…

La misère de ce creveur d’yeux, parricide et sacrilège, est si profonde et sa solitude si parfaite, qu’on croirait vraiment qu’il assume, à la façon d’un Rédempteur, l’abomination de la multitude qui le déchire. Ce monstre est si seul qu’il ressemble à un Dieu qui meurt. Sa face pleine de sang oriente les outrages de tout un monde et il traîne la douleur universelle comme un manteau.

Puisse la racaille, quand son œuvre sera finie, emporter dans ses yeux féroces l’éblouissement de ce soleil de tortures qui a étonné l’histoire ! Il fallait, sans doute, la sublimité piaculaire d’une telle horreur pour que l’écroulement du vieil empire fût retardé trois cents ans.

Que dire d’un peintre capable de suggérer de telles pensées ? Et la suggestion est si forte, une fois de plus, si spontanée, si victorieuse, que le cadre, tout démesuré qu’il soit, éclate, et que le drame pantelant s’échappe, se déroule, ainsi qu’un dragon, sur les spectateurs épouvantés.

La physionomie de l’homme, très jeune encore, est tumultuaire autant que ses œuvres. Jamais un artiste n’a pu porter plus que lui son art sur chacun des traits de son visage. On y peut lire l’enthousiasme continu, perpétuel, un enthousiasme comme il n’y en a plus ; la générosité merveilleuse, le zèle dévorant pour la Beauté où s’appareille à ses yeux la sainte Justice ; l’intuition d’éclair sur les somptuosités de la Douleur ; une indignation de fleuve