Page:Bloy - La femme pauvre.djvu/204

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La tradition s’est conservée, parmi les paysans, d’on ne sait quel crime effroyable accompli autrefois en ce lieu, bien longtemps avant que la maison existât, vers l’époque noire de Bertrand de Got et de Philippe le Bel. Enfin, la maison elle-même passe pour être visitée.

Vous pensez, Messieurs, que si quelqu’un a lu Edgar Poé et Hoffmann, ce doit être moi. Eh bien ! ils n’ont jamais inventé rien de plus sinistre. J’ose dire que j’ai vécu là, en commerce ininterrompu avec les ombres damnées et les plus opaques esprits de l’enfer !

Je savais à quelle phase de la lune et à quelle heure devait infailliblement se produire telle commotion, tel sursaut, tel phénomène d’optique, et c’était mon délice d’en crever de peur à l’avance.

Autour de moi tout conspirait à me noyer l’âme d’une terreur exquise ; tout était hagard, biscornu, falot, monstrueux ou dément. Les murs, les parquets, les meubles, les ustensiles avaient des voix, des formes inattendues qui me ravissaient d’effroi.

Mais comment exprimer mon allégresse, mon délire, lorsque, pour la première fois, je sentis tressaillir en moi les mauvais anges qui m’avaient élu pour leur demeure ! Que vous dirai-je ? Il me sembla que je connaissais enfin la jubilation maternelle ! J’ai même reçu le pouvoir de discerner, par une sorte d’affinité ou de sympathie, la présence du diable chez quelques-uns, car, je vous l’ai dit, mon cas n’est pas extrêmement rare, ajouta-t-il, fixant Folantin qui parut incommodé.