Page:Bloy - La femme pauvre.djvu/235

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vivre. Mais on ne distingue pas sa figure, tant il marche courbé, et quel fardeau ! — Dieu de miséricorde ! — quel fardeau épouvantable sur ses épaules !

Ensuite, c’est fini. Personne ne passera plus. Une impénétrable forêt a jailli du sol, une de ces forêts du tropique où la foudre allume des incendies. En voilà un précisément qui éclate. Effrayant et magnifique spectacle !

Ô Jésus en agonie ! n’est-ce pas Léopold qu’elle aperçoit au centre de la fournaise, avec sa haute et dédaigneuse face ravagée par d’inconcevables tourments ? Il aura été surpris, le malheureux ! Le voilà qui lutte contre ces cascades de feu, comme il lutterait contre une armée d’hippopotames en colère. Mais sa chevelure s’est enflammée, il se croise les bras et brûle, impassible, comme un flambeau…

La dormeuse a pu, enfin, jeter un grand cri. Réveillée instantanément, elle s’élance hors de son lit, arrache d’une main ferme ses rideaux en feu, les foule sous un tapis et ouvre la fenêtre pour chasser l’odeur suffocante.

Il fallait vraiment qu’elle fût bien troublée ou bien assommée, pour avoir oublié de souffler sa bougie avant de s’endormir. Elle met ses deux mains sur son cœur pour en comprimer les palpitations.

— Tu n’as pas assez prié Dieu ce soir, Desdémone ! dit-elle, se rappelant les lectures de l’atelier. Quel horrible cauchemar !

Elle se souvient, une fois de plus, de la prédiction mystérieuse du Missionnaire : Quand vous serez dans les