Page:Bloy - La femme pauvre.djvu/236

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flammes… Bien souvent, le jour, elle y pensait ; faudra-t-il, maintenant, qu’elle y pense le long des nuits !…

Mais pourquoi ce Léopold, qu’elle a vu à peine, quelque-fois, et qui est pour elle un inconnu ? Pourquoi lui est-il montré d’une manière si tragique et qui correspond si exactement à sa plus secrète préoccupation ?

Le sommeil qui charge de chaînes le corps humain a le pouvoir de restituer à l’âme, pour la durée d’un éclair, la simplicité de vision qui est le privilège de l’Innocence. C’est pour cela que les impressions d’horreur ou de joie reçues dans les songes ont une énergie dont la conscience est humiliée quand la mécanique de luxure a ressaisi son empire.

La physionomie de pirate ou de condottière de Léopold avait paru à Clotilde si surnaturelle, dans le décor de son rêve, qu’elle crut que ce personnage énigmatique lui était révélé. Elle vit en lui un de ces héros en désuétude, criblés d’ombre et de dédains par un monde ignoble, qui ne peuvent se manifester que dans quelque soudaine et inimaginable conflagration.

Et cela devint aussitôt pour elle un autre rêve si profond que tout s’y noya. L’image, terrible pourtant, de son bienfaiteur poignardé, celle de Marchenoir écrasé sous le poids d’une vie aussi lourde que les contreforts du ciel, disparurent. Faiblement, elle s’étonna de son versatile cœur qu’elle ne pouvait retenir, qui s’en allait spontanément vers un étranger.

— Allons ! je suis une sotte, s’écria-t-elle, refermant la