Page:Bloy - La femme pauvre.djvu/250

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articuler un seul mot, tant elle était paralysée de voir sa mère plus vivante et plus audacieusement cafarde que jamais. Elle se souvenait d’avoir entendu, — aussi longtemps qu’avaient duré les débats, — comme un tintement de cloche à son oreille, cette parole de la victime : Votre mère n’est pas plus mourante que moi…

Le pochard sanglant n’avait échappé à la guillotine que par l’équité de quelques jurés marchands de vin qui avaient admis la circonstance atténuante de l’alcoolisme, invoquée par un avocat d’origine polonaise, et on l’avait envoyé se dessoûler perpétuellement au bagne.

Quant à la papelarde, elle consommait son martyre dans la pénombre claustrale d’une prison cellulaire, non loin de l’altière et poétique Séchoir, trahie par des lettres trouvées dans les guenilles de cette bandite et convaincue d’avoir machiné contre sa pensionnaire le guet-apens où Gacougnol avait succombé.

L’instruction avait révélé la manigance diabolique et à peu près invraisemblable d’un viol, que le balancier vert-galant se serait chargé de conditionner lui-même avec une virtuosité incomparable.

Aucun autre calcul apparent. On voulait seulement noyer la malheureuse fille dans le plus profond désespoir, la tuer d’horreur, en comptant bien qu’elle n’oserait jamais dénoncer sa mère.

Pendant trois semaines, les journaux avaient fait couler ce fleuve d’ordures. Clotilde, broyée de chagrin, s’était vue forcée de subir, en manière d’extra, la flétrissante