Page:Bloy - La femme pauvre.djvu/350

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de cette famille de locataires — les prédécesseurs des Léopold — jetée par elle dans la rue, avec une énergie, une sérénité, une constance, une inflexibilité digne des martyrs. Un mari malade et sans emploi, une femme enceinte et quatre petits, dont deux en moururent. Balayée toute cette vermine. Elle-même, en cette occasion, s’était comparée à la « Femme forte » du Livre saint. Sans doute il lui eût été facile de s’attendrir lâchement, à l’exemple de quelques autres qu’on doit, pour l’honneur des propriétaires, supposer très rares. Elle n’en serait pas devenue plus pauvre. Mais le principe eût été fricassé du coup et il y a des moments où c’est un devoir d’imposer silence à son cœur.

Mademoiselle Planude s’agenouillait à la Table sainte, avec un petit sac de titres ou d’obligations ficelé sur sa chaste peau, en compagnie des médailles et scapulaires.

Clotilde, qui croyait n’avoir affaire qu’à une dévote banale, fut arrêtée dès les premiers mots.

— Ah ! Madame, si vous venez m’apporter des cancans ou des médisances, vous tombez mal ! Je ne m’occupe pas de mon prochain et je ne veux rien savoir. Tout ce que je demande, c’est d’avoir de bons locataires qui paient leurs termes à la minute et qui n’occasionnent pas de scandale dans ma maison. Si cela ne vous convient pas, vous êtes libre de partir, en réglant trois mois d’avance, bien entendu. Tel fut le premier élan de cette pouliche.

— Mais, Mademoiselle, s’écria la visiteuse un peu suffoquée, je ne comprends rien à votre accueil. Je n’aime pas plus que vous les médisances et les bavardages et c’est