Page:Bloy - La femme pauvre.djvu/384

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s’éclaire. N’entends-tu pas, quelquefois, chanter les morts ? Je parlais tout à l’heure des Anges de Noël, de cette multitude céleste qui chantait « Gloire à Dieu dans les cieux et paix aux hommes dans la terre. » Ce chant sublime n’a pas cessé, parce que rien de l’Évangile ne peut cesser. Seulement, depuis que Jésus a été mis dans son Tombeau, j’imagine que le cantique des Anges est continué sous la terre, par la multitude pacifiée des morts. J’ai cru l’entendre bien des fois, dans le silence des créatures qui ont l’air de vivre, et c’est une musique d’une suavité inexprimable. Oh ! je distingue parfaitement les voix profondes des vieillards, les voix humbles des hommes et des femmes, et les voix claires des petits enfants. C’est un concert de joie victorieuse par-dessus la rumeur lointaine et désespérée des esprits déchus.

… Parmi toutes ces voix, il en est une qui me paraît celle d’un homme excessivement âgé, d’un centenaire accablé de siècles, et cette voix me donne comme la sensation d’un tranquille rayon de lumière qui viendrait vers moi du fond d’un monde oublié.

Ta songeuse de femme t’a déjà dit cela, mon Léopold, sans trop comprendre elle-même ce qu’elle disait. Mais je suis sûre de l’avoir vu, dans mes rêves, ce vieillard tout cassé, tout émietté par plusieurs mille ans de sépulcre, et bien qu’il ne me parlât pas, j’ai deviné que c’était un homme de mon sang qui avait dû être grand parmi les autres hommes, dans quelque contrée sans nom, antérieurement à toutes les histoires, et qu’il était chargé