Page:Bloy - La femme pauvre.djvu/78

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Oui, sans doute… mais les bottines, il lui en faudrait aussi, car elle en était à marcher dans des chaussons !… Et du linge, donc ! Comment s’en passer, puisqu’elle était complètement nue sous ses loques ? Et un corset ! et un châle et un chapeau ! Tout cela est nécessaire à une femme pour être vêtue « convenablement », comme il avait dit… Quelle dépense ! mais il avait de l’argent, pour sûr, beaucoup d’argent, et il ne voudrait pas faire les choses à moitié.

— Mon Dieu ! dire pourtant que je serai comme cela, tout à l’heure, pensait-elle, en regardant les petites bourgeoises qui trottaient dans la rue du Bac. Je crois que je vais devenir folle.

Il lui semblait que, pour rien au monde, elle n’aurait consenti à parler, de peur de laisser échapper quelque chose de sa joie.

Gacougnol, désespérant d’obtenir l’attention de sa compagne, avait cessé de monologuer à haute voix. La main dans sa barbe copieuse, il la considérait en souriant.

— Pauvre créature ! se disait-il, je suis Dieu pour elle, en ce moment, Dieu le Père ! Si le bonheur avait des propriétés lumineuses, notre sapin serait le char du prophète Élie, car elle transsude la jubilation. Faut-il qu’elle en ait eu de la misère, celle-là, pour qu’il soit si facile de lui procurer l’extase !… Je savais bien, moi, que j’allais faire sortir la femme de ma petite sainte de tantôt ! Ce miracle-là va me coûter dans les cinq ou six louis, tout au plus. Il les vaut, ma foi !… C’est drôle, tout de même, la puissance de