Page:Bloy - La femme pauvre.djvu/91

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Ils étaient à deux pas de la bête, séparés d’elle seulement par une chaîne tendue au-devant de la formidable cage.

— Ne craignez rien, dit-il à sa compagne qui tremblait un peu, vous êtes hors de portée et, d’ailleurs, ce tigre est mon ami. Il est ici depuis trois semaines environ et il ne se passe guère un jour sans que je vienne le voir et le consoler. Oh ! notre conversation est ce qu’elle peut. Je ne me flatte pas de parler le tigre sans fautes, mais on se comprend. Voyez plutôt l’aimable accueil !

Le tigre qui, d’abord, s’était dressé de toute sa taille contre les barreaux, avait, en effet, paru se calmer à la voix de son visiteur. Il retomba sur ses pattes antérieures, éteignit la puissante rumeur de ses cordes, et parcourut sa cage d’une extrémité à l’autre, évoluant, chaque fois, par le train de derrière, de façon à ne pas perdre un instant de vue Marchenoir qu’il fixait de ses yeux d’avare défiant, particuliers à cette race de félins et qui lui ont valu, en grande partie, son exceptionnelle réputation de cruauté.

Enfin, sur un regard plus appuyé du dompteur, il se retourna et s’étendit de son long, adossé au pied de la grille. Alors, à l’inexprimable terreur de Clotilde, qui n’eut pas même la force de pousser un cri, Marchenoir, penché sur la mobile barrière, passa la main sur le dos de la bête formidable qui s’étira voluptueusement sous la caresse, en exhalant un rauquement prolongé dont frémirent toutes les parois.