Page:Bloy - Le Désespéré.djvu/119

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dre, s’enroule avec une indifférence visqueuse à tous les pilastres de la vieille cité humaine.

Mais l’Amour écume au seul mot de partage et la jalousie est sa maison. C’est un colimaçon sans patrie, qui se repaît, sans convives, dans sa spirale ténébreuse. Il y a des yeux à l’extrémité de ses cornes et, si légèrement qu’on les effleure, il rentre en lui-même pour se dévorer. En même temps, il est ubiquitaire, quant au temps et quant à l’espace, comme le vrai Dieu dont il est la plus effrayante défiguration.

Avec une angoisse sans nom ni mesure, Marchenoir s’aperçut que cette diabolique infortune allait devenir la sienne. Il n’y avait déjà plus de passé pour lui. Tout était présent. Tous les instruments de sa torture pleuvaient à la fois, autour de lui, dans l’humble chambre de ce monastère où il avait espéré trouver la paix.

La pauvre fille, il la voyait vierge, tout enfant, sortant du ventre de sa mère. On la salissait, on la dépravait, on la pourrissait devant lui. Cette âme en herbe, cette fille verte, comme ils disent dans la pudique Angleterre, était bafouée par un vent de pestilence, piétinée par d’immondes brutes, contaminée avant sa fleur. Toute la basse infamie du monde était déchaînée contre cette pousse tendre de roseau, qui ne pensait pas encore, qui ne penserait sans doute jamais.

Puis, une sorte d’adolescence venait pour elle, comme pour une infante de gorille ou une archiduchesse du saint Empire, et, de la ruche ouverte de son corsage, se répandait tout un essaim d’alliciantes impudicités. On se faisait passer à la chaîne et de