Page:Bloy - Le Désespéré.djvu/120

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mains en mains, comme un seau d’incendie, ce corps impur, ce vase de plaisir, irréparablement profané. L’existence n’était plus pour elle qu’une interminable nuit de débauche qui avait duré dix ans, et qui supposait la révocation de tous les soleils, l’extinction à jamais de toutes les clartés, célestes ou humaines, capables de la dissiper !

Confident épouvanté de ce cauchemar, Marchenoir percevait distinctement les soupirs, les susurrements, les craquements, les râles, les goulées de la Luxure. Encore, si cette perdue n’avait été qu’une de ces lamentables victimes, — comme il en avait tant connues ! — tombées, en poussant des cris d’horreur, du ventre de la misère dans la gueule d’argent du libertinage !… Mais elle s’était pourléchée dans sa crapule et, gavée d’infamies, elle en avait infatigablement redemandé. Sa robe de honte, elle en avait fait sa robe de gloire et la pourpre réginale de son allégresse de prostituée !

Il n’y avait pas moyen d’en douter, hélas ! et c’était bien ce qui crucifiait le plus le malheureux homme ! Il avait beau se dire que toutes ces choses n’existaient plus, que le repentir les avait effacées, raturées, grattées, anéanties, qu’il se devait à lui-même, comme il devait à Dieu, aux anges pleurants, à tout le Paradis à genoux, d’oublier ce que la Miséricorde infaillible avait pardonné. Il ne le pouvait pas et son âme dépouillée d’enthousiasme, mais invinciblement enchaînée, demeurait là, nue et frissonnante devant sa pensée…

C’était à l’école de cette agonie qu’il apprenait décidément ce que vaut la Chair et ce qu’il en coûte de jeter ce pain dans les ordures ! Pour la première fois,