Page:Bloy - Le Désespéré.djvu/132

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opinion quelconque, même inexprimée, en promenant leur flatulence dans cet Eden.

Au dix-huitième siècle qui fut, sans comparaison, le plus sot des siècles, on s’était persuadé que tous les moines vivaient dans les délices, que l’hypocrite pénombre des cloîtres cachait de tortueuses conspirations contre le genre humain, et que les murailles épaisses des monastères étouffaient les gémissements des victimes sans nombre de l’arbitraire ecclésiastique.

Au dix-neuvième, la bêtise universelle ayant été canalisée d’une autre sorte, cette facétie lugubre devint insoutenable. L’horreur se changea en pitié et les criminels devinrent de touchants infortunés. C’est ce courant romantique qui dure encore. Rien de plus grotesque, et au fond, de plus lamentable, que les airs de miséricorde hautaine ou de compassion navrée des gavés du monde, pour ces pénitents qui les protègent du fond de leur solitude et sans l’intercession desquels, peut-être, ils n’auraient même pas la sécurité d’une digestion !

De tous les Ordres religieux qui ont été la parure de l’Église, lorsque cette reine abaissée n’était nullement une pauvresse, deux seulement, la Chartreuse et la Trappe, ont réussi à se faire pardonner de n’être pas des tripots ou des lupanars. Marchenoir connaissait déjà la Trappe. Maintenant que la Chartreuse, à son tour, n’avait plus de secrets pour lui, il rencontrait l’humiliation inouïe d’être forcé d’accorder à la canaille cette exception fourchue de deux seuls Ordres restés vraiment monastiques, et, quoique la vie cartusienne lui parût plus haute, il confessait l’im-