Page:Bloy - Le Désespéré.djvu/177

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pour le plus facile à contenter des pachydermes raisonnables, comment ce diapason de douleurs, qu’on appelle un homme de génie, pourrait-il jamais y prétendre ? Le bonheur, mon cher père, est fait pour les bestiaux… ou pour les saints. J’y ai donc renoncé depuis longtemps. Mais, à défaut de bonheur, je voudrais, au moins, la paix, cette inaccessible paix, que les anges de Noël ont, pourtant, annoncée, sur terre, aux hommes de bonne volonté !

Le père hésita un moment. Tout ce qui peut être inspiré par la plus ardente charité sacerdotale, il l’avait déjà dit à ce désolé. Il avait tout tenté pour solidifier un peu d’espérance dans ce vase brisé, d’où se répandait le cordial, aussitôt qu’on l’avait versé. Il ne pouvait pas accuser son pénitent d’être indocile ou de s’acclamer lui-même. Le soupçon d’orgueil, — d’une si commode ressource pour les confesseurs et directeurs sans clairvoyance ou sans zèle ! — il l’avait écarté, dès le premier jour, avec défiance, estimant plus apostolique de pénétrer dans les cœurs que de les sceller, du premier coup, implacablement, sous des formules de séminaire.

Le Non-Amour est un des noms du Père de l’orgueil et, certes, il n’en avait pas connu beaucoup, dans sa vie, des êtres qui aimassent autant que le pauvre Marchenoir ! Il se sentait en présence d’une exceptionnelle infortune et les larmes lui vinrent à la pensée qu’il avait devant lui un homme allant à la mort et que rien ne pouvait sauver, un témoin pour l’Amour et pour la Justice, — holocauste lamentable d’une société frappée de folie qui pense que le Génie la souille et que l’aristocratie d’une