Page:Bloy - Le Désespéré.djvu/180

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pas, pour me défendre. Je combattrai seul, je succomberai seul, et ma belle sainte priera pour le repos de mon âme, voilà tout… Peut-être aussi, ne succomberai-je pas. Les téméraires ont été, quelquefois, les victorieux.

Je quitte votre maison dans une ignorance absolue de ce que je vais faire, mais avec la plus inflexible résolution de ne pas laisser la vérité sans témoignage. Il est écrit que les affamés et les mourants de soif de justice seront saturés. Je puis donc espérer une ébriété sans mesure. Jamais, je ne pourrai m’accommoder ni me consoler de ce que je vois. Je ne prétends point réformer un monde irréformable, ni faire avorter Babylone. Je suis de ceux qui clament dans le désert et qui dévorent les racines du buisson de feu, quand les corbeaux oublient de leur porter leur nourriture. Qu’on m’écoute ou qu’on ne m’écoute pas, qu’on m’applaudisse ou qu’on m’insulte, aussi longtemps qu’on ne me tuera pas, je serai le consignataire de la Vengeance et le domestique très obéissant d’une étrangère Fureur qui me commandera de parler. Il n’est pas en mon pouvoir de résigner cet office, et c’est avec la plus amère désolation que je le déclare. Je souffre une violence infinie et les colères qui sortent de moi ne sont que des échos, singulièrement affaiblis, d’une Imprécation supérieure que j’ai l’étonnante disgrâce de répercuter.

C’est pour cela, sans doute, que la misère me fut départie avec tant de munificence. La richesse aurait fait de moi une de ces charognes ambulantes et dûment calées, que les hommes du monde flairent avec sympathie dans leurs salons et dont se pour-