Page:Bloy - Le Désespéré.djvu/201

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certes pas, encombré de scrupules ! Pour deux francs, on lui aurait fait nettoyer une dalle de la Morgue, avec sa langue ! D’ailleurs, il la connaissait et savait qu’elle ne le dénoncerait jamais à personne.

— Monsieur Nathan, dit-elle, en arrivant chez le personnage, avez-vous besoin d’argent ?

Ce monsieur Nathan était une petite putridité judaïque, comme on en verra, paraît-il, jusqu’à l’abrogation de notre planète. Le Moyen Âge, au moins, avait le bon sens de les cantonner dans des chenils réservés et de leur imposer une défroque spéciale qui permît à chacun de les éviter. Quand on avait absolument affaire à ces puants, on s’en cachait, comme d’une infamie, et on se purifiait ensuite comme on pouvait. La honte et le péril de leur contact étaient l’antidote chrétien de leur pestilence, puisque Dieu tenait à la perpétuité d’une telle vermine.

Aujourd’hui que le christianisme a l’air de râler sous le talon de ses propres croyants et que l’Église a perdu tout crédit, on s’indigne bêtement de voir en eux les maîtres du monde, et les contradicteurs enragés de la Tradition apostolique sont les premiers à s’en étonner. On prohibe le désinfectant et on se plaint d’avoir des punaises. Telle est l’idiotie caractéristique des temps modernes.

Monsieur Nathan avait eu des fortunes diverses. Il avait raté des millions et, quoiqu’il fût très malin, on le considérait, parmi ses frères, comme un peu jobard. Son vrai nom était Judas Nathan, mais il avait voulu qu’on l’appelât Arthur, et tel était son principe de mort. Ce juif était rongé du vice chrétien de vanité. Successivement tailleur, dentiste, marchand de tableaux, vendeur de femmes et capitaliste marron,