Page:Bloy - Le Désespéré.djvu/206

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durs métaux humains. Le tortionnaire abject, par une dernière impulsion de vague pitié, lui déclara qu’elle allait atrocement souffrir.

— J’y suis préparée, répondit la sainte. J’espère avoir du courage. Je tâcherai de me souvenir que j’ai mérité des souffrances plus grandes encore.

Alors, s’accomplit cette horreur. À chaque dent qui s’en allait, la pauvre Véronique, en dépit de sa volonté, poussait un léger cri et ses yeux se remplissaient de larmes, pendant que des ruisseaux de sang écumeux coulaient sur l’épaisse toile du tablier de cuisine que Nathan lui avait ficelé autour du cou.

Quand la mâchoire supérieure fut complètement dégarnie, l’exécuteur dut s’arrêter. L’infortunée avait perdu connaissance et se tordait spasmodiquement. Il fallut la ranimer, étancher le sang qui partait à flots, arrêter l’hémorragie, calmer les nerfs, toutes besognes familières à cet omniscient des basses pratiques chirurgicales. Il exprima son avis de renvoyer à quelques jours la seconde partie de l’opération, dans le secret espoir de ne la voir jamais revenir et d’échapper ainsi à une corvée qui lui déplaisait, ayant, d’ailleurs, soigneusement empoché l’argent. Mais, au bout d’un quart d’heure, l’étonnante martyre lui signifia énergiquement, sans parler, qu’elle voulait que cela continuât.

Rien ne fut plus horrible. L’opérateur gagna son salaire. Les anesthésiques ordinaires étaient sans effet sur ce paquet de nerfs en déroute, effroyablement ébranlés déjà, malgré l’héroïsme de la patiente. La syncope se renouvela cinq ou six fois, de plus en plus inquiétante. Une minute, Nathan, terrifié, crut au tétanos.