Page:Bloy - Le Désespéré.djvu/205

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

crable. Il reculait à la pensée de détruire ce beau visage, de même qu’il aurait hésité, au moins une minute, fût-ce pour un million, à brûler une toile de Léonard de Vinci ou de Gustave Moreau. L’anéantissement pur et simple d’une richesse de ce genre le confondait.

Ce scrupule, d’ailleurs, se compliquait de plusieurs craintes. Il avait reçu bien des volées dans sa vie, mais la main de Marchenoir, non encore éprouvée, lui semblait plus redoutable que celle du Seigneur, — sans compter le grappin de la justice humaine qui pouvait intervenir aussi et se fourrer curieusement dans ses petites affaires.

Véronique, discernant à merveille ce qui se passait dans cette âme vaseuse, se décida, malgré sa répugnance, à en finir par l’intimidation. — Vous n’avez pas tant balancé, lui dit-elle, quand il s’est agi de la petite Sarah. Je sais par cœur toute cette histoire, et même plusieurs autres. Faites-y bien attention. Allons, soyez raisonnable et ne me laissez pas languir plus longtemps. Encore une fois, il ne vous arrivera rien de fâcheux à cause de moi, je m’y engage, et trois louis sont toujours bons à gagner.

Elle faisait allusion à une abominable affaire d’avortement, où la mère avait failli périr, et qui avait donné beaucoup d’inquiétudes au bel Arthur. Il se décida sur-le-champ, alla chercher l’outil de torture, disposa toutes choses avec des petits mouvements nerveux et, finalement, installa Véronique dans un profond fauteuil de cuir, en pleine clarté.

Elle renversa la tête et montra une double rangée de dents lumineuses, — des dents à mordre les plus