Page:Bloy - Le Désespéré.djvu/257

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— C’est juste, fit celui-ci, j’oubliais ! Et tirant son porte-monnaie, il laissa tomber une pièce de cinquante centimes dans cette sébile à remontoir, qui déshonore, avec la plus horologique exactitude, la mendicité chrétienne.

Lerat ne voulut pas s’éloigner, pourtant, sans avoir compissé son bienfaiteur d’un dernier avis. En conséquence, il exhala ces prototypiques admonitions :

— Si votre ami veut réussir au Basile, il faudrait lui recommander de ne plus tant faire la bête féroce. S’il sait plaire à Beauvivier, sa fortune est faite. Il ne manque pas de talent, quand il veut se modérer et ne pas employer continuellement ses abominables expressions scatologiques. C’est ce qui a perdu ce butor de Veuillot, qui a toujours rebuté mes réprimandes et qui s’en trouve joliment bien, n’est-ce pas, aujourd’hui qu’il est crevé de son venin ! Voyez Labruyère et Massillon ! Ils en disent plus en une seule phrase décente que tous vos épileptiques en deux cents lignes. Persuadez-lui donc de lire mon livre sur La Table chez tous les peuples, que vous devez avoir dans votre bibliothèque. Il apprendra ce que c’est que la vraie force unie à la distinction.

L’odieux personnage avait cessé de sourire. Il flottait en dérive sur son propre fleuve, avec la majesté d’un Dieu. Ayant envoyé, du bout de ses doigts exorables, un tout petit geste miséricordieux, il s’éloigna, plein de sa puissance, la canne sous l’aisselle, les deux mains cléricalement croisées dans l’intérieur de ses manches et le buste jeté en avant, à la remorque de son museau, ayant l’air, parfois, de sou-