Page:Bloy - Le Désespéré.djvu/279

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rangement qui peut, en somme, avoir d’heureuses conséquences, au point de vue de notre bien-être matériel, mais qui va surtout me donner le moyen tant désiré d’accomplir ce que je regarde comme le strict devoir d’un écrivain : dire la vérité, quelle qu’elle soit et quels qu’en puissent être les dangers.

Il était curieux de voir cette belle créature écoutant l’homme qu’elle chérissait à peine moins que son Dieu et infiniment plus que toute chose terrestre. Elle l’écoutait de ses vastes yeux grands ouverts, encore plus que de ses oreilles, comme si les paroles qu’il lui faisait entendre eussent été de la lumière !

— Cher ami, reprit-elle, avec la douceur de l’humilité la plus charmante, je crois que vous avez toujours raison, mais je ne sais pas grand’chose et j’ai souvent besoin qu’on m’instruise. Mon directeur m’a parlé de vous un jour. Il m’a dit que votre voie était dangereuse au point de vue chrétien, que vous n’aviez pas mission pour juger vos frères, non plus que pour les punir, et qu’ainsi, la sainte charité courait grand risque d’être blessée par vos écrits. Je n’ai pas cru qu’il eût complètement raison lui-même de vous juger aussi sévèrement. Cependant, je suis restée sans réponse et, quelquefois, ses paroles me reviennent et m’affligent un peu. Je gardais cela pour moi depuis quelque temps, mais aujourd’hui, je me sens poussée à vous ouvrir ce coin de mon cœur. Ma confiance en vous est sans bornes. Dites-moi, je vous prie, ce que je dois penser exactement.

Marchenoir était, peut-être, de tous ses contemporains, le plus exposé au ridicule. Être admiré et