Page:Bloy - Le Désespéré.djvu/364

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son imagination, toujours inquiète, lui représentait, pour varier son supplice, Véronique telle qu’elle avait été, hier encore, avant de se massacrer elle-même, pour l’amour de lui. Alors, il se laissait aller à des calculs de marchand d’esclaves, se disant qu’après tout, le mal n’était pas irréparable, que les cheveux et les dents peuvent s’acheter et qu’il ne tenait qu’à lui de restaurer l’idole de sa perdition. Puis, le sentiment revenait aussitôt, de son éternelle indigence, — ramenant cette âme malheureuse au centre le plus désolé de ses infernales douleurs !


LXIV


Une des pratiques religieuses auxquelles il tenait le plus était la grand’messe de paroisse, celle-là qu’on a nommée, dans un style abject, « l’opéra du peuple, » probablement par antiphrase, puisqu’il est interdit au peuple d’y assister.

Il est sûr que les fabriques ne badinent pas avec le pauvre monde et Jésus lui-même, suivi du Sacré-Collège de ses douze Apôtres, serait promptement balayé par le bedeau, — si cette compagnie s’en venait, guenilleuse, et n’ayant pas de monnaie pour payer les chaises. Les dévotes riches et notables, qui font graver leurs noms sur leurs prie-Dieu capitonnés, ne souffriraient pas le voisinage d’un Sauveur lamentablement vêtu, qui voudrait assister en personne au sacrifice de son propre Corps. Les tou-