Page:Bloy - Le Désespéré.djvu/363

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

comblé d’horreur. Il se tordait de rage, il se souffletait lui-même, à la pensée que cette sainte, — qui était sa gloire et sa rançon, — il la convoitait charnellement comme une maîtresse vulgaire ! Ah ! c’était bien la peine d’endurer quarante martyres, de s’exténuer par tant de labeurs, de se consumer au pied des autels et de laver les pieds de Jésus d’un million de larmes, pour aboutir finalement à la saleté de cette obsession !…

Il s’enfuyait loin de la maison, forcé d’abandonner son travail, et marchait hors de Paris, sur les routes et par les chemins déserts, en criant vers Dieu dans d’interminables pérambulations solitaires. Mais la Tentation ne le lâchait pas et souvent, même, en devenait plus active. Elle se perchait comme un aigle sur ce marcheur, les ongles plantés dans son cou, l’aveuglant des ailes, le déchiquetant du bec, lui dévorant la cervelle, et dominant, de ses cris de victoire, la clameur de détresse du Désespéré !

Des frénésies soudaines le saisissaient, le rendaient vraiment énergumène. Il se jetait, en mugissant comme un buffle pourchassé, dans les taillis, au risque de se déchirer le visage ou de se crever les yeux, insensible aux écorchures et aux meurtrissures, — quelquefois aussi, se roulait sur l’herbe en écumant à la façon des épileptiques, appelant à son secours, indistinctement, les puissances de tous les abîmes. Un soir, il se réveilla dans un fourré du bois de Verrières, glacé jusqu’à la moelle des os, ayant dormi de ce perfide et profond sommeil des épuisés de chagrin, qui les réconforte pour qu’ils puissent un peu plus souffrir.

Dans l’accalmie nerveuse qui suivait ces crises,