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rocité des lâches ait jamais châtié, — s’en viendra juger toute la terre dans le Feu des cieux !


LXIX


Huit mois environ après son départ de Paris, où il n’avait pu remettre les pieds, Leverdier reçut, en Bourgogne, cette lettre de Marchenoir :

« Mon Georges bien-aimé,

« Je suis mourant et je n’ai peut-être pas deux jours à vivre. Je commence par là, pour que tu aies moins à souffrir. Quant à Véronique, elle est à Sainte-Anne, depuis deux semaines. C’est en revenant de l’y conduire, qu’un camion m’a renversé et m’a écrasé la poitrine. On a trouvé sur moi, par bonheur, une lettre de toi qui a révélé mon adresse, et on m’a rapporté mourant, rue des Fourneaux.

« J’ai râlé pendant plusieurs jours. En ce moment, je t’écris de mon lit, fort péniblement, mais d’un esprit désormais apaisé, comme il convient aux récipiendaires à l’éternité. Je ne suis pas troublé, même par la pensée que cette lettre nécessaire va t’assassiner de douleur. Je suis déjà dans la sérénité des morts…

« Dieu a voulu que ma vie s’achevât ainsi, donc c’est très bien et aucune chose ne pouvait m’arriver qui me fût meilleure. Je ne suis plus le Désespéré… J’ai dit, tout à l’heure, à ma vieille concierge, d’aller me chercher un prêtre.

« Cependant, mon ami, je ne veux pas m’en aller sans te revoir une dernière fois. Accours, je t’en supplie, si tu le peux, sans perdre une seconde. Ces