Page:Bloy - Le Désespéré.djvu/426

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ils n’auraient jamais la pensée de réciter une prière, dans l’inébranlable conviction que les chers absents sont tous « au ciel ».

— Plus souvent, avait-elle dit, en s’en allant, que j’irais chercher un curé pour lui donner le coup de la mort, à ce pauvre monsieur !

En conséquence, elle n’avait pas bougé de la maison, répondant d’heure en heure à Marchenoir que ces messieurs de la paroisse étaient fort occupés, mais qu’elle avait fait la commission, et qu’on allait, pour sûr, en voir abouler quelqu’un d’une minute à l’autre…

La matinée avait été d’un tragique formidable. N’ayant pu rien avaler le jour précédent et tourmenté d’une fièvre étrange, il avait demandé à boire.

La vieille qui somnolait au coin du feu, lui tendit une tasse de tisane en glissant un oreiller sous sa tête et, gémissant d’une douleur inaccoutumée qui le mordait à la gorge, il essaya de boire.

Ce ne fut pas long. Dès la première gorgée, il rejeta le liquide, la tasse fut lancée à l’extrémité de la chambre et le moribond poussant une sorte de rugissement, se dressa, terrible. Il prit sa tête à deux mains, comme s’il eût voulu se l’arracher, par un geste de détresse si effrayant que la portière, déjà pétrifiée, tomba sur ses genoux.

Puis, il sortit complètement de ses draps et, se précipitant de l’une à l’autre extrémité du lit, se roula, se tordit, se débattit en râlant comme un démoniaque, faisant éclater ses bandages, se déchirant à nouveau, se rebroyant lui-même, dans des convulsions omnipotentes qu’aucun bras d’homme n’eût été capable de réprimer !