Page:Bloy - Le Désespéré.djvu/86

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connut jamais que les plus atroces rigueurs, et qui semblait avoir été créé eunuque aux joies de ce monde, il y avait dans l’appareil religieux de la mort une force de vertige qui le confisquait tout entier avec un absolu despotisme. C’était la seule majesté à laquelle ce révolté ne résistât pas. On l’avait vu souvent suivre des enterrements d’inconnus et il fallait qu’il fût bien pressé pour ne pas entrer dans une église, lorsque le seuil tendu de noir l’avertissait de quelque cérémonie funèbre. Combien d’heures il avait passées dans les cimetières de Paris, à des distances infinies du vacarme social, déchiffrant les vieilles tombes et les surannées épitaphes des adolescents en poussière, dont les contemporains étaient aujourd’hui des ancêtres et dont personne au monde ne se souvenait plus !

Aux yeux de ce contempteur universel, la Mort était vraiment la seule souveraine qui eût le pouvoir d’ennoblir pour de bon la fripouille humaine. Les médiocres les plus abjects lui devenaient augustes aussitôt qu’ils commençaient à pourrir. La charogne du plus immonde bourgeois se calant et se cantonnant dans sa bière, pour une sereine déliquescence, lui paraissait un témoignage surprenant de l’originelle dignité de l’homme.

Cette irraisonnée induction, venant à refluer intérieurement sur le plexus syllogistique de son esprit, Marchenoir avait toujours été rempli de conjectures devant tous les signes funèbres. Sans doute, les oracles de la foi touchant les fins dernières et l’ultime rétribution de l’animal responsable, suffisaient à ce croyant. Mais le visionnaire qui était au fond du croyant avait de bien autres