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Page:Bloy - Le Révélateur du globe, 1884.djvu/105

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HISTORIQUE DE LA CAUSE

en décider la fortune. Mais l’injustice inouïe, l’ingratitude sans exemple, l’infatigable persistance de malheurs comme il ne s’en était jamais vu et, surtout, l’insuccès surnaturel, absolu, implacable de toutes ses entreprises — à l’exception de la Découverte, — voilà ce qui dut étrangement surprendre cette âme, unique parmi les uniques !

Quel que fût le don d’intuition de ce passager de la Providence et de la Douleur, qui doubla la superficie de la terre pour ne pas y trouver un asile, il ne pouvait pas deviner que tout l’univers allait se précipiter sur lui ; il ne pouvait pas penser que sa tête fût assez précieuse pour être offerte en holocauste, et c’est précisément parce qu’il devait en être ainsi que sa prière est si étonnante. Cette autre partie du monde, comme il dit, appartenait tellement au Démon que le dessein d’y prêcher le nom de Dieu dut ressembler à une vocation d’apostolat dans les enfers. Aussi fut-il presque seul à faire ce rêve. L’Espagne et l’Europe ne voulurent absolument pas qu’il y eût une autre partie du monde et qu’elle devînt le domaine de Jésus-Christ par son humble serviteur qui l’avait révélée. Elles voulurent, au contraire, se l’assimiler comme une proie et s’y propager de telle sorte qu’il ne fût plus possible désormais de trouver autre chose que l’Europe par toute la terre. L’antique civilisation latine, repliée sur elle-même dans cet étroit continent pollué par son paganisme, put enfin se détirer et se mettre à l’aise en allongeant ses infâmes pieds sur le Nouveau Monde. Il s’agissait bien de conquérir des âmes, en vérité ! D’ailleurs, puisqu’on était chez le Diable, il n’y fallait pas tant de façons, tout était bon à prendre et les infortunés Indiens de-