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LE SERVITEUR DE DIEU

données supérieures de l’esprit humain, l’histoire étant, quand même, et devant toujours être la première des sciences humaines, elle a dû nécessairement entrer, comme les autres, dans l’indéfini laminoir de la Critique et passer sous le couperet infatigable du Document. Il en est résulté le plus énorme déchiquètement de tous les faits et le plus inextricable amas de rognures historiques qui aient jamais imploré le coup de balai miséricordieux d’un abréviateur intuitif. L’histoire d’un peuple, d’un siècle ou d’un homme, — ce calque puissant du concept providentiel qu’il est si nécessaire de voir de haut et d’ensemble que les Narrateurs inspirés se bâtissaient des solitudes dans le ciel pour le dominer plus parfaitement ! — on la morcelle, on la détaille, on en isole chaque débris, chaque cassure, chaque atome, afin d’employer à cette besogne d’infinitésimale dissection la multitude toujours croissante des prétendus historiens acharnés à la recherche de ce que la langue populaire appelle la petite bête, éternellement insaisissable sous les bésicles de ces entomologistes pervers.

Il y a là deux choses assez lamentables. D’abord, on ne tient pas du tout à la vérité. On désire même ne pas la trouver, car, si on la trouvait, il n’y aurait plus moyen de courir après la petite bête et la vie serait insupportable. Ensuite, on ne croit même pas qu’il existe une vérité. L’auteur d’Eloa qui méprisait certainement l’entomologie, en sa qualité de grand élégiaque, a pourtant formulé lui-même le mépris de la vérité historique de manière à ne rien laisser à désirer aux plus exigeants pyrrhoniens de la science moderne. On peut lire cet éloquent réquisitoire du meurtrier contre la victime dans la préface de Cing-Mars. M. de Vigny pense que