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Page:Bloy - Le Révélateur du globe, 1884.djvu/118

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LE RÉVÉLATEUR DU GLOBE

l’histoire toute seule n’est pas assez belle ni assez vraie et que le droit d’un romancier est de l’arranger de gré ou de force sur le lit de Procuste de sa conception personnelle. Si l’histoire résiste un peu, on fait avancer le complaisant et commode document qui l’énerve ou qui la tronçonne et qui livre son cadavre informe, comme un bloc d’argile, aux mains éclectiques du potier de la popularité.

Ah ! les éperdus de la vérité ! ceux qui luttent jusqu’à l’aurore contre l’Esprit du Seigneur, les OFdipes de la sainte simplicité qui vont droit au Sphinx intégral du Passé et qui le déchirent dans leurs bras ensanglantés pour montrer à la terre les entrailles vivantes du monstre, ces entrailles brûlantes et oraculaires pleines du destin des peuples : où sont-ils donc aujourd’hui, à l’heure présente ? Les grands sont partis et beaucoup d’autres aussi qu’on croyait grands et que la mort a repetissés dans leur tombeau. En ce moment, on ne voit plus rien d’aucun côté et la pensée humaine est environnée d’un silence tel qu’on a l’air de faire la veillée des morts autour du cercueil de la société chrétienne. Est-il donc désormais impossible d’écrire l’histoire et cette impossibilité a-t-elle pu devenir irrémédiable au moment même où le plus enragé besoin de curiosités historiques paraît être le dernier lambeau présentable de notre magnifique patrimoine intellectuel ? Je ne le crois pas et je fonde mon incrédulité sur l’exceptionnelle vocation de ce siècle pour le roman. En effet, tout romancier est un historien réfractaire et anxieux qui rêve, — s’il a du génie — d’être l’annaliste, non du réel, mais du possible humain, parce qu’il a l’illusion de croire cela plus profond que d’être l’historien du possible de