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Page:Bloy - Le Révélateur du globe, 1884.djvu/356

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LE RÉVÉLATEUR DU GLOBE

de plomb. Il n’était plus possible ni de retourner au port, ai de fuir le danger des côtes en effrontant la haute mer. Sans doute tel marin qui avait raillé l’Amiral aurait en ce moment voulu, suivant le conseil de sa vieille expérience, n’avoir pas quitté le mouillage ; mais il était trop tard. Aucun art ne pouvait rien maintenant.

« L’effet suivit de près la menace.

« Un vaste balancement rompit la plaine unie des eaux ; les vagues, après quelques larges oscillations, se gonfèrent aotrclssant ; leurs cimes en bouillonnant s’élevèrent blanchissantes. Bientôt le fond de la mer sembla se soulever ; le souffle strident de la tempète grinça dans les mâtures, ballotant comme un Jouet, parmi les masses d’écume, cette superbe flotte. Les vergues frappaient l’eau ; l’avant et l’arrière plongealent tour à tour sous les lames. Les trésors accumulés dans les navires furent rudement secoués. La fureur des vagues fit s’entre-choquer plusieurs caravelles. Quelquesunes s’entr’ouvrirent et sombrèrent à l’instant ; d’autres luttèrent par d’impuissantes manœuvres. Un épais embrun s’ajoutait à l’affreuse obscurité du ciel, On ne se voyait point ; on entendait à peine les commandements inutiles du portevoix et les cris désespérés de l’horreur.

« La Capitane, si merveilleusement encombrée d’or, malgré ses solides charpentes, fut saisie par l’ouragan, fracassée, ouverte aux flancs, dépecée, puis engloutie sans rémission dans l’abîme. De tout ce qu’elle portait, hommes et trésors, rien ne reparut. Plus de vingt-six caravelles, toutes chargées d’or, dépouilles des malheureux Indiens, furent brisées et ensevelies dans les gouffres des vagues ; d’autres, emportées dans les silions écumeux de l’Océan, furent entraînées scus des parallèles inconnus, et sombrèrent plus loin, après avoir ressenti plus longtemps les angoisses du désespoir.

« De toute cette superbe flotte, il ne revint à Hispaniola que deux ou trois navires fracassés, à demi noyés ; tandis