Page:Bloy - Le Sang du pauvre, Stock, 1932.djvu/159

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brouiller. Et cela toute sa vie, sauf miracle. Vécut-il cent ans, il ignorera toujours que les pauvres sont des hommes comme lui et qui souffrent. Où prendrait-il, d’ailleurs, l’idée de la souffrance ? Cette idée-là est comme le lait ; il faut la prendre au sein de sa mère. Il faut avoir été allaité, bercé par la Douleur, par la vraie douleur de misère. Passé l’âge de raison qu’on dit être celui de sept ans, il n’y a presque plus moyen d’apprendre à souffrir. S’il arrive quelque accident qui l’y contraigne, — car la richesse, toute divine qu’elle soit, n’est pas l’eau du Styx qui rendait invulnérable — on ne lui voit pas d’autre ressource que de se tuer comme un joueur décavé ou de gémir lâchement dans son ordure.

En attendant son destin quel qu’il puisse être, les sports variés remplaceront la culture intellectuelle, si parfaitement inutile aux gens du monde et surtout la culture morale, exigible seulement de la valetaille ou de quelque croupiers ambitieux. Laissant loin derrière lui ceux qui ne veulent rien savoir, il ne saura même pas qu’il y a quelque chose à ignorer. Méca-