Page:Bloy - Le Sang du pauvre, Stock, 1932.djvu/21

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où. J’ai dû dire la révolte immense et profonde, le mouvement de haine infinie que me fit éprouver la vue de ces soixante ou quatre-vingts chiens qui mangeaient, chaque jour, le pain de soixante ou quatre-vingts pauvres.

À cette époque lointaine, j’étais fort jeune, mais déjà fort crevant de faim, et je me rappelle très-bien que je fis de vains efforts pour concevoir la patience des indigents à qui on inflige de tels défis, et que je rentrai en grinçant des dents.

Ah ! je sais bien que la richesse est le plus effrayant anathème, que les maudits qui la détiennent au préjudice des membres douloureux de Jésus-Christ sont promis à des tourments incompréhensibles et qu’On a pour eux en réserve la Demeure des Hurlements et des Épouvantes.

Oui, sans doute, cette certitude évangélique est rafraîchissante pour ceux qui souffrent en ce monde. Mais lorsque, songeant à la réversibilité des douleurs, on se rappelle, par exemple, qu’il est nécessaire qu’un petit enfant soit torturé par la faim, dans une chambre glacée, pour qu’une