Page:Bloy - Le Sang du pauvre, Stock, 1932.djvu/55

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que le poisson est réservé très particulièrement pour les jours de jeûne et d’abstinence qui sont, chez les gens du monde bien pensant, les jours de cuisine suprême, les jours où l’on truffe les maquereaux.

Pour ce qui est du pain, des viandes ou légumes, l’anthropophagie, malheureusement, est moins directe. Cependant c’est encore une fameuse jouissance de pouvoir se dire que cette volaille ou ce gigot qu’on fait descendre sur autre chose, quand on a le tube déjà plein, aurait pu aller à quelque miséreuse famille, à des dizaines d’enfants affamés qui, seuls, ont droit à cette ripaille et qui n’en recevront pas une seule miette. C’est vrai qu’on n’a plus bien faim, surtout les messieurs, après qu’on a mangé plusieurs indigents, mais quelle consolation de savoir qu’on a souillé de sa bouche, et détruit sauvagement, bêtement, malproprement, la subsistance des malheureux, qu’on est des voleurs et des bourreaux et qu’il y a probablement des nègres ou des peaux-rouges qui craindraient la foudre, s’ils accomplissaient une pareille abomination.