Page:Bloy - Sueur de sang.djvu/208

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— Pas de chahut, dit-il à voix basse au commandant, et que tout ton monde serre les fesses. Nous les tenons bien.

Il serait puéril de demander ce qui vint ensuite. La chose notable, c’est que nous tuâmes beaucoup cette nuit-là. Quant aux détails, je n’ai retenu que celui-ci qui ne s’effacera jamais.

Les sentinelles éteintes prestement et silencieusement, nous amenâmes une vingtaine de nos gueules à la porte de la première maison du village, transformée en corps de garde. Huit ou dix Allemands, en parfaite sécurité, jouaient aux cartes, et la première action de Bertrand qui nous conduisait et qui vint tomber au milieu d’eux comme un obus, avec sa merveilleuse élasticité de pochard, fut de planter sa baïonnette dans le jeu malpropre que le caporal donnait précisément à couper.

Je ne suis pas assez psychologue pour dire exactement ce qui se passa dans l’âme des spectateurs, mais je certifie qu’ils eurent peu de temps pour l’analyse, car la baïonnette empennée maintenant du roi de carreau, de la dame de cœur et de toute la ribambelle des puissances qui font mourir, s’enfonçait dans les poitrines avec une rapidité foudroyante et, bien que notre admiration n’ait été inactive que pendant un instant très court, j’ose affirmer qu’il ne nous resta que des broutilles.