Page:Bloy - Sueur de sang.djvu/224

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

de surveiller la route attentivement du côté du Nord. Rien de plus.

Les moblots, peu débrouillards et privés de diverses consolations, ne pouvaient attendre aucune lumière du jeune sous-officier qui les commandait. Celui-ci, plein de bons désirs et même assez intrépide, mais naturellement dénué d’expérience aussi bien que de prestige, ne pouvait offrir que ses propres conjectures, qui n’eussent rassuré personne.

Tout en songeant à l’odieuse éventualité d’une survenue de l’ennemi qui raflerait du premier coup le détachement, il voyait les pauvres diables ronger les derniers fragments de ce biscuit, réfractaire comme les briques des hauts fourneaux, qui dévasta les mâchoires de trois cent mille hommes qu’une effrayante administration trouvait le moyen de ne pas nourrir au centre même de la plus riche contrée de la terre.

C’était pourtant un peu fort qu’on fût obligé de se serrer les tripes et même de crever de froid, à deux pas de ces paysans cossus dont on était venu garder la maison et qui n’avaient consenti à prêter une espèce de soue à cochons et quelques bottes de paille pour l’installation du poste, que sur l’ordre violent d’un officier qui n’avait pas exigé davantage.

Impossible d’obtenir, fût-ce en payant, un morceau de pain ou un verre de vin de ces brutes qu’on voyait, toute la journée, se gaver et se goberger devant un bon feu.