Page:Bloy - Sueur de sang.djvu/229

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les oreilles et les pieds gelés, et on se brûlait les doigts sur le canon du fusil. La prochaine s’annonçait encore plus abominable.

L’indifférence et la dureté de ces immondes ramasseurs de pommes de terre était à hurler de rage. Il le lui avait bien dit pourtant, au paysan, et même avec une jolie véhémence. Il n’avait pu tirer de lui que cette réponse qui le pétrifia :

— Si vous avez froid, mon petit monsieur, allez vous chauffer chez votre papa et laissez les Prussiens tranquilles. Si chacun faisait comme moi, il y a longtemps que la guerre serait finie. Ne vous faites pas de bile, s’ils viennent ici, je saurai bien leur vendre mon bois.

Le malheureux chef de poste ainsi congédié sentait bien qu’à sa place un vieux soldat aurait immédiatement cassé la figure à cette canaille. Mais il était à cet âge tendre où les plus généreux se laissent intimider par un imbécile important. Il n’était pas très sûr, d’ailleurs, de l’approbation de ses chefs et dut se borner à concentrer intérieurement, dans une formule exécratoire qu’il crut efficace, toute la somme des malédictions antiques.

Soudainement, il entendit au dehors un grand cri poussé par l’une des sentinelles et se précipita sur la route. Aux dernières lueurs du crépuscule, on apercevait une masse noire et profonde qui s’avançait rapidement.

La distance était trop grande et le jour trop faible pour qu’on pût savoir qui étaient ces arri-