Page:Bloy - Sueur de sang.djvu/323

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cela suffisait, dit-on, pour désajuster le croquant, tellement, alors, il avait grand air.

Il habitait naturellement le château de Rhodes, l’unique demeure qui restât de tous les manoirs possédés autrefois par les du Glas.

Pauvre château des illusions immortelles, ruine de ruine, hospitalière seulement aux corbeaux et aux chats-huants, car nul voyageur venu des Lieux Saints ou des lieux maudits n’eût été capable de concevoir le désir de s’y abriter.

En réalité, il ne restait qu’une seule chambre habitable encore, sur plus de cent chambres culbutées par les équinoxes, et c’était la chambre encombrée de livres du vieil Armor. Livres hérités de son père et de son grand-père qui racontaient tous la même histoire, la seule au monde qui l’intéressât, l’histoire des Chevaliers Hospitaliers de Saint-Jean de Jérusalem, nommés au quatorzième siècle Chevaliers de Rhodes et plus tard Chevaliers de Malte.

La vocation des paladins de son sang, depuis l’origine de l’Ordre, avait toujours été d’en faire partie et c’était sa joie d’enfant dans les limbes de retrouver leurs noms chez des chroniqueurs aussi peu fréquentés du populaire que Sanut, Bosio, Guillaume de Tyr, Jacques de Vitri, Rodéric de Tolède ou Roger de Hoveden.

Ces bouquins étaient l’exclusive pitance de son cerveau, depuis un demi-siècle, et il avait réussi de bonne heure à tirer de leur lecture une vision