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sueur de sang

tristesse fut infinie et devint presque aussitôt une hypocondrie des plus noires. Habitué, depuis tant d’années, à se croire indispensable à la rotation harmonieuse des engrenages sublunaires, il gémissait nuit et jour avec amertume sur la démence des bureaux qui n’avaient pas senti le besoin de l’éterniser et l’avaient retranché de l’effectif comme un chien boiteux qu’il faut rayer du vautrait.

Son vieux cuir impitoyable de militaire, boucané par les consignes, se creusa de rides nouvelles plus profondes. Pour la première fois, il essaya de penser, et cet excès inouï, cette folie de vieillesse le détraqua.

Les deux ou trois paysans qui étaient admis à lui parler racontèrent les ravages exercés par un tel chagrin, sur la judiciaire autrefois vantée du vieux Dussutour. — Il cause tout seul en se promenant, disaient-ils, et il fiche la peur à notre bestial.

Le fait est qu’il brouillait maintenant les choses, confondait entre eux les météores, dédaignait les pronostics, ne se souvenait plus des oraculaires sentences et devenait subversif.

Ce gendarme, autrefois si pondéré, incapable, par exemple, de manquer à la condescendance miséricordieuse que la Justice ne refuse pas même aux plus abominables gredins, quand ils sont entre ses griffes, et qui, recevant un jour l’humble aveu d’un de ses meilleurs clients, assassin d’une famille entière, le consola par ces simples mots : On n’est pas parfait ! — ce gendarme sublime était désor-