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à la table des vainqueurs

goinfre, mais je lui répondis que c’était l’unique veau que ses hommes n’eussent pas réquisitionné et qu’on l’avait tué tout exprès pour lui. Alors, n’est-ce pas ? il était bien juste qu’il eût aussi les côtelettes en papillottes et les fricandeaux à la chicorée. Il invita quelques officiers le lendemain. Je leur fis des escalopes, des rognons sautés, de la blanquette, des tendrons aux petits pois, de la galantine et du rôti. Mehr !… mehr !… Ces messieurs se régalèrent, il y en avait pour tout le monde, et les rats mangèrent le reste au fond de la cave. J’avais naturellement réservé le cœur, parce qu’il faut le faire mariner avant de le mettre sur le gril, et le père du joli petit capitaine de dragons dévora le cœur de son fils, le troisième jour.

Vous aurez beau me parler du Dieu tout-puissant, je le défierais bien de me donner dans son paradis une joie plus grande. Je crus que j’allais mourir de bonheur. Mais cela ne suffisait pas, comprenez-vous ? Il fallait parler.

— N’est-ce pas ? lui dis-je, que c’est bon, les enfants grillés, mon général ?

Comme il me regardait sans comprendre, étonné seulement de cette question familière, j’ajoutai :

— C’est le cœur de votre enfant que j’ai étranglé de mes deux mains, c’est son cœur que vous venez de manger, vieille canaille ! et c’est sa viande, sa carne ignoble que je vous ai servie hier et avant-hier !