Page:Blum - L’Exercice du pouvoir, 1937.djvu/301

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

ministère de l’Intérieur, on se dit : Il est bien neuf… Mais quelques jours s’étaient à peine passés que tout le monde louait mon choix. Dans notre jeune Gouvernement, il avait assumé la charge la plus lourde et je peux bien dire, sans forcer la vérité, qu’il joua un rôle historique, en un moment historique.

Le Cabinet fut constitué à la fin de la soirée du jeudi 4 juin. Roger Salengro quitta l’Élysée pour s’installer séance tenante dans ce cabinet de la place Beauvau, qu’en dehors de ses voyages à Lille il ne devait plus guère quitter, ni jour ni nuit.

Vous vous rappelez ces heures-là. Je ne dirai pas que le souvenir en est resté dans toutes les mémoires, car je constate, au contraire, non sans surprise, non sans émoi, que trop d’hommes, diversement responsables, les oublient. Un mouvement, aussi puissant que les grandes forces naturelles, avait soulevé tous les travailleurs de France. Il se composait à la fois du ressentiment des souffrances passées et de l’immense espoir qu’inspirait l’avenir. Le Gouvernement entre les mains duquel le peuple souverain venait de transporter le pouvoir politique, avait pour devoir, non pas, certes, d’opposer un barrage brutal à ce courant, d’ailleurs irrésistible, mais de l’aménager, de l’ordonner, de le diriger vers des réalisations positives ; et dans ce travail difficile, le poste le plus difficile était celui du ministre de l’Intérieur, spécialement tenu de concilier l’ordre nouveau qui s’élaborait, avec l’ordre républicain, avec l’ordre légal, avec l’ordre tout court.

Roger Salengro fut pleinement égal à cette tâche presque surhumaine. Calme, souriant, infatigable, inébranlable il vaquait à tout et parait à tout. Je puis témoigner que ceux qui l’approchèrent alors et dont beaucoup étaient des adversaires, lui vouèrent quelque chose qui ressemblait à de l’admiration.