Page:Blum - L’Exercice du pouvoir, 1937.djvu/304

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Nous avons passé des heures, Roger et moi, à nous poser l’un à l’autre la question. « Tout de même, que peut-on faire ?… » Et quand on souffre comme il souffrait, sauf la chance d’un débat public tel que celui qui a fait réparation, on n’a guère le choix, en effet, dans notre pays, qu’entre tuer et mourir.

Il n’est pas possible que nous restions plus longtemps enfermés dans ce choix sauvage. La calomnie doit être confondue et châtiée, et elle le sera. La mort de Roger Salengro a fait sentir cette nécessité à la France entière et nous devrons encore à notre ami cette gratitude d’outre-tombe.

Un groupe de professeurs, d’écrivains, d’artistes, étrangers à tout parti politique, dénonçaient hier : « l’écrasante responsabilité encourue par ceux qui osent parler sans preuve contre l’honneur d’un homme, par ceux qui lancent contre un adversaire des accusations de telle nature qu’aucune réfutation ne peut jamais ôter le doute introduit en des esprits passionnément prévenus… »

C’est bien là le mal. Il n’y a pas d’antidote contre le poison de la calomnie. Une fois versé, il continue d’agir, quoi qu’on fasse, dans le cerveau des indifférents, des « hommes de la rue », comme dans le cœur de la victime. Il pervertit l’opinion. Car, depuis que s’est propagée chez nous la presse de scandale, vous sentez se développer dans l’opinion un goût du scandale. Tous les bruits infamants sont soigneusement recueillis et avidement colportés. On juge superflu de vérifier, de contrôler, en dépit de l’absurdité, parfois criante. On écoute et on répète, sans se rendre compte que la curiosité et le bavardage touchent de bien près à la médisance, que la médisance touche de bien près à la calomnie, et que celui qui publie ainsi la calomnie devient un complice involontaire du calomniateur.

Il faut donc tarir la calomnie à sa source. Il faut en finir avec l’inexplicable esprit de tolérance qui