Page:Blum - L’Exercice du pouvoir, 1937.djvu/303

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la maladie, ni par le souvenir inapaisé de la femme qu’il avait aimée et qu’il avait perdue. La fatigue, la lésion organique, le chagrin, n’ont fait qu’altérer sa force de résistance contre le poison versé en lui jour à jour. Ses lettres posthumes disent la vérité : il est la victime de l’atroce, de l’infâme calomnie…

Voilà trois mois que j’ai senti le venin opérer, jour à jour. Ses amis, ses collaborateurs, dont certains étaient pour lui des camarades fraternels, ont pu suivre le progrès quotidien du mal. L’invisible meurtrissure s’étendait chaque jour. Il était apparemment le même, toujours tranquille, toujours méthodique, toujours souriant. Il faisait bonne figure. Il haussait les épaules en disant : « Bah ! ça n’est rien… » Mais le mal intérieur gagnait, touchait aux racines mêmes de la vie, ou plutôt de la volonté de vivre.

Tant qu’il fallut résister, tant qu’il fallut combattre, son courage ne broncha pas. Mais quand la victoire définitive eût été remportée sur le mensonge, le ressort intérieur se brisa. Il s’abandonna hors de la vie, comme le coureur qui s’abat après avoir touché le but.

Dans cet abandon désespéré un sentiment a dû jouer un rôle, un sentiment que je connais bien, l’impuissance devant le mensonge. On sait bien, soi, ce qui est et ce qui n’est pas, ce qu’on est et ce qu’on n’est pas ; on sait que telle ou telle accusation odieuse où burlesque est un mensonge. Comment le prouver ? Comment confondre la calomnie ? Comment — ce qui serait plus nécessaire encore — convaincre le « juge moyen », le juge indifférent et de bonne foi ? On s’épuise à chercher le moyen d’établir comme on le voudrait, avec l’évidence de la lumière, ce qu’on sait bien, soi, être la vérité. On cherche ; on ne trouve pas : jusqu’à ce qu’on ait acquis, par l’usage, cette endurance qui prend des airs de sérénité, le plus cruel est de se sentir sans défense et sans arme.