Page:Božena Němcová Grand-mère 1880.djvu/327

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constances, heureuses ou malheureuses de ma vie. Si un seul arbre, un seul buisson venait à manquer en ces endroits, il m’y manquerait encore quelque chose. J’en vois un où, sur une des pentes les plus hautes de la forêt, se dresse un pin solitaire, et déjà bien vieux, dont les branches se penchent, d’un côté, au dessus d’un abîme profond, dans les déchirures duquel croissent ça et là, des fougères ou des rameaux de genièvre, tandis qu’à ses profondeurs retentissent les bruits des cascades que fait le torrent qui passe entre les rochers. Je ne sais même pas comment l’habitude en a été prise ; mais c’est là que je me suis réfugié toujours, quand j’étais en proie à un chagrin ou à quelque malheur accablant ; devant l’opposition de ses parents, je désespérai d’abord de voir ma fiancée devenir jamais mon épouse ; et à la mort de mon fils aîné, et à celle de ma vieille mère, je m’y réfugiai avec ma douleur.

Dans ces circonstances je sortais toujours de la maison sans but à atteindre sans regarder ni à droite ni à gauche, et mes pas me conduisaient toujours vers cette profondeur mystérieuse. Et quand je m’arrêtai au dessus de l’abîme, près du pin solitaire ; quand je voyais devant moi les cîmes des montagnes, l’une au-dessus de l’autre, il me paraissait qu’un poids venait de tomber de mon cœur oppressé, et alors je n’avais pas honte de pleurer. Quand j’entourai de mes bras le rude tronc de l’arbre, il me semblait qu’il y avait de la vie en lui, qu’il comprenait mes plaintes ; les branches qui s’étendaient au dessus de ma tête remuaient comme si