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Page:Boccace - Contes de Boccace, trad De Castres, 1869.djvu/508

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tous. Je suis enchanté de votre grand mérite et de le trouver fort supérieur à l’idée que je m’en étais formée. D’après cela, vous ne devez pas douter que je ne vous oblige en tout ce qui dépendra de moi. Soyez tranquille, il ne tiendra pas à mon zèle que vous ne soyez bientôt reçu dans notre société. »

Cette promesse lui fut renouvelée par les deux peintres à chaque politesse qu’ils en recevaient. Ils traînèrent la chose en longueur le plus qu’ils purent, et s’amusaient beaucoup à lui persuader des extravagances. Ils lui promettaient de lui procurer la jouissance de la comtesse de Civillari, qui, à les entendre, était la plus belle chose qui se trouvât dans le pays, où l’on ne peut agir par procuration. « Quelle est cette comtesse ? demanda le médecin. — C’est, répondit Bulfamaque, une très-grande dame. Il y a peu de maisons qui ne lui payent un tribut. Les membres de notre société ne sont pas les seuls qui lui rendent cet hommage ; les cordeliers la révèrent comme nous, et sonnent, en son honneur, de la trompette de la partie postérieure. Quand elle se promène, elle se fait sentir de loin, quoique le plus souvent elle soit enfermée. Il n’y a cependant pas longtemps qu’elle passa devant votre porte pour aller laver ses pieds dans la rivière d’Arno et prendre l’air de la campagne. Sa résidence ordinaire est au royaume des Latrines. Son cortège est un grand nombre d’officiers qui portent pour marque de sa grandeur la verge et le piombino. On rencontre partout de ses barons, tels que le Tamagnin de la porte de dom Méta, le manche di Scopa, le Scacchera et autres qui sont, je crois, de vos amis, mais dont vous ne vous souvenez plus dans ce moment. Si nous réussissons dans notre projet, nous vous mettrons dans les bras de cette belle princesse, vous conseillant d’abandonner la servante de Cacavincigli. »

Le médecin qui, dès sa plus tendre enfance, avait été élevé à Bologne, ne connaissait pas les expressions grossières dont se servaient les peintres. Fort content du portrait qu’on lui avait fait de cette dame, il consentit à en jouir, et, peu de jours après, il apprit qu’il avait été agréé de la société. Cette nouvelle le mit au comble de la joie. Le jour qui précéda la nuit de l’assemblée désignée pour sa réception, il donna à dîner aux deux peintres, et leur demanda la manière dont il devait se conduire. Bulfamaque se chargea de l’en instruire. « Il faut, en premier lieu, lui dit-il, que vous n’ayez aucune peur, sans quoi vous courrez risque de rencontrer des obstacles qui vous empêcheraient d’être reçu, et vous causeriez un grand préjudice. Vous vous rendrez ce soir, vers l’heure du premier somme, sur un des tombeaux qu’on a élevés devant Sainte-Marie la Nouvelle, après avoir mis la plus belle de vos robes doctorales ; car il est bon que la première fois vous paraissiez avec honneur dans notre société. Vous saurez d’ailleurs que, dans la dernière de nos assemblées, la comtesse, sachant que vous étiez gentilhomme, promit de vous faire recevoir chevalier d’eau froide, à ses propres dépens. Vous attendrez sur ce tombeau qu’on vous envoie querir.