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Page:Boccace - Contes de Boccace, trad De Castres, 1869.djvu/509

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Comme il ne faut vous rien laisser ignorer, voici de quelle manière vous sortirez de là. Une bête noire, cornue et de moyenne grandeur, paraîtra devant vous et fera des sauts et des cabrioles à vos côtés, afin de vous épouvanter, mais sans vous blesser le moins du monde. Quand elle verra que vous n’avez point peur, elle s’approchera doucement de vous, et alors vous monterez dessus, sans frayeur et sans nommer, en aucune façon, Dieu ni les saints. Dès que vous y serez, vous aurez soin de mettre vos mains sur l’estomac, sans toucher aucunement à la bête, qui vous portera au petit pas au lieu où se tient notre assemblée. Mais, songez-y bien, si, pendant tout le temps que vous serez avec elle, il vous arrive d’avoir peur, ou d’invoquer Dieu et les saints, je vous avertis qu’elle pourrait fort bien vous jeter dans quelque trou puant. Ainsi, monsieur, si vous ne vous sentez pas le courage nécessaire, je vous conseille de demeurer chez vous ; car, sans être plus avancé, vous nous rendriez un très-mauvais service.

— Je vois bien, dit le docteur, que vous ne me connaissez pas encore ; on dirait que vous ne jugez de moi que par ma robe et par mes gants. Si vous saviez ce que j’ai fait à Bologne, lorsque j’allais avec mes amis voir les courtisanes, vous ne douteriez pas de mon courage. Un soir, une de ces filles, qui n’était pas plus haute que le coude, et qui n’en paraissait que plus méchante, refusa de venir avec nous. Savez-vous ce que je fis ? je la pris par les cheveux, et, après lui avoir donné plus de cent coups de poing, je la jetai, je crois, à plus de cent pas de moi, et la forçai à nous suivre. Une autre fois, n’étant accompagné que d’un petit garçon, je passai de nuit, sans avoir peur, devant le cimetière des Cordeliers, quoiqu’on y eût enterré une femme ce jour-là même. Ainsi, reposez-vous sur moi ; je suis plus aguerri que vous ne sauriez l’imaginer. Au reste, pour être mis décemment, je prendrai la robe d’écarlate que je portais le jour que je fus reçu docteur. Soyez certain que la compagnie sera charmée de me voir, et qu’elle ne tardera pas à m’élire capitaine. Attendez-vous à des merveilles, puisque la comtesse, qui ne m’a pas encore vu, est déjà si fort amoureuse de moi, qu’elle veut me faire chevalier d’eau froide. Vous verrez si je ne saurai pas bien tenir mon rang de chevalier. Laissez-moi recevoir, et vous serez émerveillé de ma conduite. — C’est le mieux du monde, dit Bulfamaque, mais ne vous moquez pas de nous : sur toutes choses, soyez exact au rendez-vous à l’heure indiquée ; il est essentiel qu’on vous y trouve quand on ira vous chercher. Je vous dis ceci parce qu’il fait froid, et que messieurs les médecins n’aiment pas à le sentir. — N’ayez nulle inquiétude, répondit le docteur ; je ne suis point frileux. Je puis vous assurer que, lorsqu’il m’arrive de me lever la nuit pour aller à la garde-robe, ce à quoi tout le monde est exposé, je ne mets jamais que ma robe de chambre sur mon corps. Ainsi, je me trouverai sans faute au rendez-vous à l’heure convenue. »