Page:Boccace - Décaméron.djvu/181

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côté ce que je ferais, je dis que si je pensais seulement à quoi que ce fût contre son honneur ou son plaisir, aucune femme ne serait jamais plus digne du bûcher que moi. Or, il y a quelqu’un, dont à vrai dire je ne sais pas le nom, mais qui me paraît une personne de bien, et qui si l’on ne m’a pas trompée là-dessus, vous fréquente beaucoup. Il est beau et grand de sa personne, vêtu d’habits bruns très honnêtes, et ne sachant pas sans doute la ferme intention que j’ai, il semble avoir mis le siège autour de moi, de sorte que je ne puis me montrer à la porte ou à la fenêtre, ni sortir de la maison, sans qu’incontinent il ne se présente devant moi ; et je m’étonne qu’il ne soit pas maintenant ici ; ce dont je me plains fort, pour ce que ces sortes de choses, faites souvent sans la moindre faute, attirent le blâme aux honnêtes femmes. J’avais eu tout d’abord l’idée de le faire dire à mes frères, mais j’ai ensuite pensé que les hommes font parfois les commissions de façon que les réponses sont aigres, d’où naissent des altercations, et des altercations on en vient aux faits ; pour quoi, afin que mal et scandale n’en naissent, je me suis tue, et j’ai résolu de le dire plutôt à vous qu’à tout autre, tant parce que vous me semblez être son ami, que parce qu’il vous sied bien à vous de reprendre sur telles choses non pas seulement les amis, mais les étrangers. Pour quoi, je vous prie uniquement pour l’amour de Dieu, que vous le réprimandiez de cela et le priiez de ne plus tenir une pareille conduite. Il y a assez d’autres dames qui sont, d’aventure, disposées à ces choses, et à qui il conviendra d’être suivies et courtisées par lui, tandis qu’à moi ce m’est un très grave ennui, n’ayant en aucune façon l’esprit disposé à tel sujet. — »

« Le digne moine comprit incontinent de qui elle parlait vraiment, et ayant beaucoup loué la dame de ses bonnes dispositions, croyant fermement vrai ce qu’elle disait, il lui promit d’opérer si bien et de telle façon qu’il ne lui serait plus causé d’ennui par cette personne ; puis, comme il la connaissait très riche, il vanta les œuvres de charité et d’aumône, lui racontant ses besoins. À quoi la dame dit : « — Je vous en prie pour Dieu, s’il niait, dites-lui sans crainte que c’est moi qui vous l’ai dit et que je suis venue m’en plaindre. — » Et sur ce, la confession étant prise et la pénitence prise, se rappelant les encouragements que lui avait donnés le moine sur les œuvres de charité, elle lui remplit en cachette la main de pièces de monnaie, le pria de dire des messes pour l’âme de ses morts, et s’étant levée de ses pieds, elle s’en retourna chez elle.

« Peu après, comme il en avait l’habitude, le brave homme vint trouver le moine, lequel, après qu’ils eurent ensemble parlé un certain temps d’une chose et d’une autre, le tira à