Page:Boccace - Décaméron.djvu/199

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foi sur le champ, selon l’habitude des jaloux, à ces paroles, et se mettant à rattacher à ce fait certaines choses advenues auparavant, allumée d’une colère subite, répondit qu’elle le ferait certainement ; que ce n’était pas si malaisé à faire, et que s’il venait, elle lui ferait une telle honte que toutes les fois qu’il verrait une femme, cela lui reviendrait à la mémoire. Ricciardo, enchanté de cela, et son projet lui paraissant bon et marcher admirablement, la confirma dans ce dessein par beaucoup d’autres paroles, et augmenta encore sa crédulité, la priant néanmoins de se garder de dire jamais qu’elle l’avait appris de lui ; ce qu’elle lui promit sur sa foi. Le matin suivant, Ricciardo s’en alla trouver une bonne femme qui tenait la maison de bains dont il avait parlé à Catella ; il lui dit ce qu’il entendait faire et la pria de lui être en cela aussi favorable qu’elle pourrait. La bonne femme, qui lui était très obligée, dit qu’elle le ferait volontiers, et concerta avec lui ce qu’elle avait à faire ou à dire. Il y avait dans la maison de bains une chambre très obscure, pour ce qu’il n’y avait aucune fenêtre par où la lumière pût entrer ; suivant les instructions de Ricciardo, la bonne femme l’arrangea, y fit mettre du mieux qu’elle put un lit dans lequel Ricciardo, ainsi qu’il était convenu, se mit et attendit Catella.

« La dame, ayant entendu les paroles de Ricciardo, et leur ayant donné plus de créance qu’il n’était besoin, s’en retourna le soir pleine d’indignation chez elle où, d’aventure, Filippello s’en revint de son côté préoccupé d’autre pensée, et ne lui fit peut-être pas l’accueil amical qu’il avait coutume de lui faire. Ce que voyant, elle entra en un soupçon plus grand encore qu’elle n’était, se disant à soi-même : Vraiment, il a l’esprit à cette dame avec laquelle il croit avoir demain plaisir et contentement ; mais certainement cela n’arrivera pas. Et elle resta toute la nuit sur cette pensée, et songeant à ce qu’elle devrait lui dire quand elle serait avec lui.

« Mais que dire de plus ? L’heure de none venue, Catella ayant pris avec elle sa suivante et sans rien changer à son projet, s’en alla à cette maison de bains que Ricciardo lui avait indiquée, et là, ayant trouve la bonne femme, elle lui demanda si Filippello était venu ce jour-là. À quoi, la bonne femme, stylée par Ricciardo, dit : « — Êtes-vous cette dame qui devez venir lui parler ? — » Catella répondit : « — Oui, je le suis. — » « — Donc — dit la bonne femme — allez le trouver. — » Catella, cherchant ce qu’elle n’aurait pas voulu trouver, se fit mener à la chambre où était Ricciardo, y entra la tête couverte, et s’y enferma. Ricciardo, la voyant venir, se leva joyeux, et l’ayant reçue en ses bras, dit doucement : « — Bien venue soit mon âme ! — » Catella, pour mieux feindre ce qu’elle n’était pas, l’accola et le