Page:Boccace - Décaméron.djvu/209

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ront aller ; si tu n’es point patient ou si tu ne pardonnes pas les injures, le moine n’osera pas venir dans ta maison pour contaminer ta famille. Mais pourquoi vais-je m’arrêter sur chaque chose ? Ils s’accusent toutes les fois qu’ils font cette excuse à ceux qui les entendent. Pourquoi ne restent-ils pas chez eux, s’ils ne croient pas pouvoir être saints et sobres ? Ou si pourtant ils veulent pratiquer ces vertus, pourquoi ne suivent-ils pas cette autre sainte parole de l’Évangile : Le Christ commença par faire, puis il enseigna ? Qu’ils fassent d’abord, eux aussi, puis qu’ils enseignent les autres. J’en ai vu des miens, des milliers, désireux, amateurs, visiteurs, non seulement des femmes séculières, mais des religieuses ; et précisément de ceux qui jettent les plus hauts cris du haut de leurs chaires. Ceux donc qui sont ainsi faits, courrons-nous après ? Qui le fait, fait ce qu’il veut, mais Dieu sait s’il le fait sagement. Mais étant admis qu’il faille en cela concéder ce que vous dit le moine qui vous blâma, à savoir que c’est une faute très grave que de rompre la foi matrimoniale, n’est-ce pas une faute plus grande que de voler un homme ? n’est-ce pas une faute plus grande de le tuer ou de l’envoyer en exil traîner par le monde une vie misérable ? Cela, chacun l’accordera. Les relations d’un homme avec une femme sont péché naturel ; le voler ou le tuer, ou le chasser, provient d’une méchanceté d’âme. Que vous ayez volé Tedaldo en vous enlevant à lui vous qui étiez devenue sienne de votre volonté spontanée, je vous l’ai démontre plus haut. Je dis aussi qu’en tant qu’il a été de vous, vous l’avez tué, parce que il ne tint pas, à cause de vous qui vous montrâtes toujours plus cruelle, qu’il ne se tuât de ses propres mains ; et la loi veut que celui qui est cause du mal qui se fait, soit aussi coupable que celui qui fait le mal. Et que vous ne soyiez aussi cause de son exil et de sa vie misérable par le monde pendant sept ans, cela ne se peut nier. De sorte que vous avez commis un plus grand péché par l’une des trois choses susdites, que vous n’en commîtes dans vos relations avec lui. Mais voyons : Tedaldo a-t-il peut-être mérité ces choses ? Certes non ; vous l’avez déjà vous-même confessé ; sans compter que je sais qu’il vous aime plus que lui-même. Nulle chose ne fut autant honorée, autant exaltée, autant applaudie que vous l’étiez par lui au-dessus de toutes les autres femmes, s’il se trouvait dans un endroit où il pût honnêtement et sans exciter le soupçon parler de vous. Tout son bien, tout son honneur, toute sa liberté, tout avait été remis par lui en vos mains, N’était-il pas noble et jeune ? N’était-il pas beau parmi tous ses autres concitoyens ? N’était-il point vaillant en