Page:Boccace - Décaméron.djvu/212

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conter plus à l’aise que je le puis présentement. — » Et ayant remis sa robe et son chapeau, il embrassa une autre fois la dame, et l’ayant réconfortée d’un bon espoir, il se sépara d’elle, et s’en alla à l’endroit où Aldobrandino était prisonnier, plus préoccupé de la peur de la mort qui l’attendait, que d’une espérance quelconque de salut. Comme s’il fût venu pour le réconforter, il entra dans sa prison avec le consentement des geôliers, et s’étant assis près de lui, il lui dit : « — Adolbrandino, je suis un de tes amis envoyé à toi par Dieu pour te sauver, car à cause de ton innocence il lui est venu pitié de toi. Et pour ce, si par déférence pour lui, tu veux me concéder une petite faveur que je te demanderai, sans faute avant qu’il soit demain soir, au lieu de la sentence de mort que tu attends, tu entendras ton acquittement. — » À quoi Aldobrandino répondit : « — Brave homme, puisque tu t’es occupé de mon salut, bien que je ne te connaisse pas et que je ne me souvienne pas de t’avoir jamais vu, tu dois être ami, comme tu le dis. Et, de vrai, le crime pour lequel on dit que je dois être condamné à mort, je ne l’ai pas commis ; j’ai fait autrefois beaucoup d’autres péchés, lesquels peut-être m’ont amené à cette fin. Mais je te dis ceci par révérence pour Dieu, s’il a présentement miséricorde de moi, je ferai volontiers une grande chose plutôt qu’une petite, bien plus que de la promettre ; et pour ce, demande ce qu’il te plaît, car sans faute, s’il arrive que j’en réchappe, je l’observerai fidèlement. — »

Le pèlerin dit alors : « — Je ne veux pas autre chose sinon que tu pardonnes aux quatre frères de Tedaldo de t’avoir conduit à ce point, te croyant coupable de la mort de leur frère, et que tu les aies pour frères et amis s’ils te demandent de cela pardon. — » À quoi Aldobrandino répondit : « — Nul ne sait combien c’est douce chose que la vengeance, ni avec quelle ardeur on la désire, sinon celui qui a reçu l’offense, mais toutefois afin que Dieu pourvoie à mon salut, je leur pardonnerai volontiers et je leur pardonne dores et déjà ; et si j’échappe vivant d’ici, je m’efforcerai de faire en cela comme il te sera agréable. — » Cela plut au pèlerin, et sans en vouloir dire plus, il le pria d’avoir bon courage, car pour sûr avant que le jour suivant s’achevât, il apprendrait des nouvelles très certaines de son salut. Et l’ayant quitté, il s’en alla à la Seigneurie et parla ainsi secrètement à un chevalier qui l’occupait : « — Mon Seigneur, chacun doit volontiers s’efforcer de faire que la vérité soit reconnue, et surtout ceux qui tiennent la place que vous occupez, pour que ceux-là qui n’ont point commis la faute ne portent pas les peines, et que les coupables soient punis. Afin